Fiche de lecture the scout mindset de julia galef
Temps de lecture estimé : 8 minutes
Tranquillement installé avec son ordi sur les genoux, Harry parcourt son fil twitter quand soudainement il tombe sur un tweet commençant par “C’est la candidate la plus corrompue de l’histoire !”
Ni une ni deux, il fonce sur le bouton “répondre”.
Il commence sur un ton incendiaire.
Il peste contre la limite de 280 caractères de twitter.
Il n’aura pas assez de place pour expliquer la vie à ce “@#¨%$”.
Puis, le téléphone sonne.
Il décroche, 15 minutes passent.
Quand il revient à son ordinateur, il regarde ce qu’il a écrit.
Et il réalise qu’il a été exactement comme il le reprochait à cette personne.
A défendre son identité brutalement.
C’est ce que Julia Galef appelle le “soldier mindset”. Cet état d’esprit qui envahit les réseaux sociaux, mais aussi notre vie au quotidien. Son livre est une invitation à épouser le “scout mindset”.
Le soldat
Avant de vous parler du scout mindset (j’utiliserai aussi le terme d’éclaireur dans l’article), revenons à son envers. Le soldier mindset.
Mon arrière grandp-père, Pierre Escoffier, debout, 3ème à gauche
Souvent, nous nous retrouvons dans une position où l’on combat pour des idées, des opinions, où l’on va défendre des décisions. Nous sommes prêts à mentir de façon subtile pour ne pas voir la réalité. Julia Galef propose pour décrire cet état d’esprit la métaphore du soldat, car le vocabulaire guerrier lui correspond bien. Il utilise des raisonnements motivés, une façon (consciente ou inconsciente) d’arriver à une conclusion en étant influencé par nos croyances, nos valeurs, nos émotions, etc.
Mais pourquoi sommes-nous si souvent des soldats ?
Pour se protéger.
Protéger notre égo des émotions déplaisantes, notre estime de soi.
Par exemple, si on rate un entretien, on rationalise en se disant que c’est mieux comme ça, de toute manière les personnes n’étaient pas très agréables.
On soulage notre déception.
C’est aussi une façon de se motiver à faire des choses difficiles, en mettant sous le tapis ce qui nous déplaît.
On protège aussi notre identité sociale, notre appartenance à un groupe et notre loyauté envers lui.
Cela nous permet de mieux se convaincre soi même pour mieux convaincre les autres.
Une spécialité en politique notamment.
Cependant les bénéfices de cet état d’esprit sont surévalués. Souvent, c’est un gain à court terme. On sous évalue les impacts de nos décisions sur le long terme et les retours de bâton. On surévalue aussi les coûts sociaux. Par exemple nous sommes nombreux à préférer mentir à notre médecin, que ce soit par omission, ou sur le fait que nous avons bien compris les instructions. Nous préférons gardez la face, mais nous avons en fait beaucoup plus à perdre qu’à gagner. On surestime le jugement des autres, et aussi son impact. Il est fort peu probable que le médecin se moque de nous, et quand bien même ce serait le cas, il vaut mieux cela que de ne pas comprendre ce qu’il prescrit.
Mais ne nous jetons pas la pierre. Nous rationalisons tous. Cela fut bien utile pour nos ancêtres, pour les aider à survivre et affronter les conditions difficiles qui furent les leur. Et aujourd’hui il nous faut donc déployer des efforts pour lutter contre. Mais ces efforts valent le coût.
Comment lutter contre cet état d’esprit ?
Julia Galef propose une batterie de tests qui peuvent nous aider à détecter quand on rationalise.
Par exemple, le test de conformité.
Si j’ai tendance à suivre le point de vue d’une personne que l’on admire, j’imagine qu’elle change de point de vue.
Quel est ma réaction ?
Ou aussi le test de “scepticisme sélectif”.
Si je suis en contact avec des arguments de mon camp, comment je les percevrais si c’était des arguments issus du camp opposé ?
Ces tests, qui nous invitent à changer de point de vue, nous permettent d’éviter des rationalisations. Et de commencer notre métamorphose en éclaireur.
L’éclaireur
Mais qu’est-ce qu’un éclaireur ?
C’est une personne qui va privilégier la vérité, la connaissance avant tout. Il cherche à avoir la carte du territoire la plus précise possible. Pas celle qui l’arrange. Son honnêteté intellectuelle est primordiale. Mais il n’en n’est pas pour autant indifférent. Quand il se trompe il se réjouit d’avoir améliorer sa carte, d’avoir appris. L’éclaireur :
- sait reconnaître ses torts
- accueille la critique
- se met des gardes fous pour éviter son manque d’objectivité
- continue sans relâche à creuser sa pensée, à chercher des arguments et pas uniquement ceux qui l’arrangeraient
Un exemple que cite l’autrice est celui de Darwin. Si sa théorie a été si béton, c’est parce qu’il n’a jamais reculé devant les arguments de ses adversaires. Au contraire, il traitait en priorité tout ce qui pouvait déstabiliser sa théorie, car il savait qu’une partie de lui avait envie de mettre tout ça sous le tapis.
Être un éclaireur c’est aussi, et surtout, savoir quand on a agi en soldat. On est tous soldats, plus ou moins. Savoir le reconnaître est une force, un pas vers l’amélioration. Et autant on est très bon pour voir les attitudes de soldat chez les autres, autant on est très mauvais pour le voir chez nous. Et souvent, ceux qui sont persuadés d’être de bons éclaireurs, sont en fait des soldats qui s’ignorent.
Un choix heureux
L’éclaireur cherche donc à voir la réalité telle qu’elle est.
En essayant de prendre conscience de ses biais, de ses croyances.
En étant prêt à changer d’avis.
Ce n’est pas un sacrifice.
On a plus à gagner qu’à perdre.
Ce sont plus des opportunités de s’améliorer, d’être mieux avec les autres.
Et bien souvent les bénéfices de cet état d’esprit sont sous évalués, ce qui nous fait choisir à tort le soldier mindset.
L’éclaireur a des bénéfices surtout à long terme, car en apprenant de ses erreurs il nous donne de bons réflexes.
Les bonnes habitudes sont renforcées.
Et c’est efficace.
L’autrice donne l’exemple d’activistes de défense des animaux.
Au départ ils étaient en opposition frontale.
Ce peut être parfois la bonne posture pour faire bouger des lignes, se faire connaitre.
Mais là ça ne fonctionnait plus.
Ils ont donc choisi de se rapprocher de leurs opposants grâce à une attitude ouverte.
Et ont obtenu beaucoup plus de résultats ainsi.
Faut-il pour autant renoncer à une certaine radicalité ? Non. Mais si cela nous parait la stratégie la plus efficace. Et pour savoir cela, c’est plus simple si on a un certain détachement avec notre identité.
L’éclaireur n’a-t-il que des gains à long terme ? Doit-il à court terme courber l’échine pour accepter la dure réalité ? Non, il peut être fier de son honnêteté intellectuelle. Heureux d’avoir fait évoluer sa vision des choses, même d’avoir changé d’avis. Et ce n’est pas un réalisme triste, mais positif, une amélioration continue. Par exemple face à l’échec, on peut se dire “J’ai fait de mon mieux”, “J’ai déjà parcouru tout ce chemin”. Et cela va nous aider partout, dans notre vie personnelle et au travail.
L’éclaireur au boulot
Dans la vie d’une équipe de développement, agir en éclaireur va permettre de mieux écouter les besoins clients.
Grâce à une meilleure écoute et une capacité à proposer des alternatives de façon constructive, le produit aura plus de chance de remplir son but.
Au sein même de l’équipe aussi cela peut améliorer les rapports et l’efficacité.
Et ouvrir des opportunités de pair ou mob programming.
C’est aussi laisser la place à l’erreur.
Pour accueillir celle des autres, mais aussi oser soi même se tromper.
On permet ainsi une meilleure sécurité psychologique, bien plus agréable à vivre et si impactante sur la performance des équipes (la sécurité psychologique est ce qu’il y a de plus important dans une équipe d’après une étude de Google).
Être un éclaireur vous aidera aussi à prendre de meilleurs décisions.
Par exemple avec l’“outsider test”.
Si vous avez une décision importante à prendre, imaginez une personne qui arrive à votre poste.
Que ferait-elle ?
C’est grâce à ce test que les PDG d’Intel ont sauvé leur entreprise à une époque où elle était menacée de disparaître, car devenue moins performante sur son cœur de métier, la mémoire.
En se mettant dans la peau d’un nouvel arrivant à leur poste, ils ont pu voir ce qui leur était si difficile en tant que fondateur :
il fallait lâcher leur coeur de métier, leur identité, pour aller vers d’autres horizons, les micro processeurs.
Avec le succès que l’on connaît.
L’éclaireur ne part pas au combat, il ne va pas chercher à évangéliser ses collègues en leur imposant la pratique X ou Y (Scrum, TDD etc). Il sait écouter les signaux faibles, un peu comme un développeur cherche à écouter les code smells. Il va écouter les besoins, le contexte. Et en sera d’autant plus pertinent.
Un monde meilleur
C’est donc un livre intéressant et très utile que nous propose Julia Galef. En nous montrant qu’épouser la voie de l’éclaireur ce n’est ni renoncer, ni être le gentil de service, mais faire face, favoriser la curiosité et l’écoute (de soi et des autres). L’autrice m’a donné un grand coup de fouet. J’espère vous avoir retranscrit sans trop d’erreur son intention.
Ce livre rejoint la pile des livres qui m’auront nettement influencé (à confirmer sur le long terme bien sûr). Je pense par exemple aux ouvrages de Thomas d’Ansembourg, dont le thème de la communication non violente rejoint en partie celui du livre de Julia Galef. La CNV est un très bon complément pratique pour apprendre à exprimer nos désaccords sans violence, tout en acceptant nos émotions, comme la colère.
Il y aurait encore beaucoup à dire, car l’ouvrage est riche. Je vous laisse le découvrir si cela vous dit. De mon côté, vous l’aurez compris, c’est un gros coup de cœur que je vous recommande.
Quelques ressources
En anglais :
- pour acheter le livre ou en commande chez votre libraire
- un talk ted de 10min qui m’a permis de découvrir Julia Galef il y a quelques années
- une conférence passionnante où elle expose de nombreuses idées du livre
- la chaine youtube de Julia Galef
En français :
- un résumé par David Louapre (youtuber de la chaîne sciences étonnantes)
- un résumé par Lê Nguyên Hoang (youtuber de la chaîne sciences4all)
Edition le 6 janvier à 22h30. Je prends en compte des retours très intéressants (vive la critique constructive !). J’aimerais éviter de mal retranscrire les propos de Julia Galef et notamment l’idée que l’éclaireur est finalement une sorte de premier de la classe mou et bien pensant autoproclamé. Le choix des mots est important, donc j’ai essayé de faire quelques corrections.