Good Morning Learning
Apprendre ensemble grâce au good morning learning
Temps de lecture : environ 7 minutes
Plus le temps passe, plus je me dis que l’on ne partage pas assez nos connaissances dans le développement logiciel. Je vois beaucoup de personnes continuer à apprendre par elles-mêmes. Elles vont à des conférences, certaines lisent des articles, des livres, écoutent des podcasts ou suivent des youtubers. Certes, ces connaissances sont partagées par des personnes qui ont la générosité de transmettre leurs connaissances (et/ou un business à promouvoir), mais à plus petite échelle, à l’intérieur d’une société et des équipes, cela est bien plus rare. Dans un métier où les connaissances nécessaires sont grandes, ou les formations n’en transmettent qu’une partie, la transmission par les pairs est une opportunité de progresser plus vite et mieux. Tout cela n’est pas nouveau.
Et pourtant, mon expérience personnelle m’a amené à traverser différentes sociétés où le partage et l’intelligence collective était assez peu présents. C’est encore aujourd’hui à mon avis le cas dans la majorité des entreprises. Il me semble que même aujourd’hui à travers les software crafters ce qui est mis le plus en avant c’est l’engagement personnel de chacun, et non le partage, le collectif, même si un tel mouvement existe aussi (on parle de plus en plus de mob, ou ensemble programming par exemple). Faut-il y voir une image de notre société individualiste ?
Est-ce la faute à cet individualisme que j’ai toujours trouvé difficile de créer une dynamique de partage dans les différentes entreprises où j’ai travaillé ? Combien de sociétés ont une culture de partage, combien évoquent la problématique en entretien d’embauche ? Souvent cette absence finit en découragement, déception, et pèse dans la balance quand l’heure de la démission approche.
“Egoiste”par Kazuhiro Keino est sous licence CC BY 2.0
Cette culture, tout le monde en porte un bout de responsabilité il me semble. Le management doit la promouvoir, l’encourager, et les équipes doivent se l’approprier, expérimenter.
Dans son livre “les entreprises humanistes”, Jacques Lecompte nous apprend que 3 motivations nous poussent à enrichir notre travail : le désir d’exercer un contrôle sur son activité, d’avoir une image positive de soi et de se sentir en relation avec d’autres personnes (d’après Amy Wrzesniewski et Jane Dutton). Et si la programmation nous enferme derrière une machine, et que ces temps de remote peuvent accentuer encore plus ce sentiment, il me semble important de saisir et créer tout ce qui pourrait créer du lien, et bénéficier à tous (voir dans XP le principe le plus important, le bénéfice mutuel).
La suite de cet article est un retour d’expérience sur le good morning learning, une opportunité de créer des relations avec d’autres personnes, d’être utiles les uns aux autres. Un temps d’intelligence collective, de partage de connaissance.
Les origines
J’ai découvert la pratique grâce à un ancien (snif) collègue qui l’a mise en place au niveau de la société (sncf connect & tech). C’est un format imaginé par Philippe Bourgau, qui en fait la description sur son blog. A l’origine l’idée est de prendre le temps que l’on ne passe plus dans les transports (grâce au développement du télétravail) pour en faire du temps de veille partagée. On se retrouve tous les matins pendant 30 minutes. Les 20 premières minutes chaque participant effectue la veille techno de son choix, par exemple en lisant un article ou en écoutant un podcast. Puis sur les 10 dernières minutes on fait un retour aux autres. Il n’y a aucune attente, pression. On fait des sous-groupes si nécessaire, de 5 personnes max, pour avoir au moins 2 minutes de restitution par personne.
Cette première expérience a un peu fonctionné. Les quelques piliers des autres moments de partages ont à nouveau fait tourner la boutique. Mais la mayonnaise n’a pas vraiment pris. Avec le recul, je pense que cela était dû au périmètre trop large qui impliquait l’absence de deux éléments très importants : la sécurité psychologique (connaitre les participants, avoir confiance pour s’exprimer) et les connaissances communes (si les autres font de la veille sur des sujets qui m’intéressent peu, je ne vais pas revenir).
Le décollage
Ce (relatif) échec m’a laissé sur ma faim. J’avais trouvé l’idée vraiment intéressante, et j’avais l’espoir qu’une zone de partage quotidienne puisse enfin voir le jour.
Je me suis alors retroussé les manches pour tenter le coup sur mon projet (une quarantaine de devs). Rapidement quelques crafters habitués ont accroché à l’idée et on mis la main à la pâte. Ensemble nous avons mis en place une formule qui désormais fonctionne depuis plusieurs mois. En voici le détail :
Nous nous retrouvons de 11h30 à 12h tous les jours sauf le vendredi (on a notre réunion hebdomadaire sur ce créneau). On avait essayé de 9h à 9h30, mais globalement c’était plus compliqué. Et si aucun créneau ne peut satisfaire tout le monde, il faut essayer, et garder ce qui marche le mieux. Vu le créneau, on a d’ailleurs rebaptisé les séances “les Apérales” 🙂 Vient qui veut, quand iel veut / peut.
C’est un créneau sur le temps de travail, c’est important. On ne demande pas de sacrifier 30 minutes de sa pause déjeuner, comme c’est souvent le cas. C’est donc à chacun de faire un choix, de prioriser ses tâches. De mon côté j’y participe très régulièrement, et je suis toujours déçu quand je ne peux pas y aller.
Le format actuel
Le contenu est un peu différent de la version proposée par P. Bourgau. Nous avons gardé les séances de veille partagée comme dans le format d’origine, et ce sont les séances les plus fréquentes. De ces séances j’en tire souvent des pistes intéressantes grâce au partage des autres, sans compter ce que j’ai pu aussi découvrir pendant les 20 minutes de veille que j’ai fait de mon côté. C’est une occasion de se retrouver entre collègues, de créer ou renforcer des liens. Ce sont des personnes que je contacte facilement pour leur poser une question, leur demander un avis, et je pense que c’est en parti grâce à ces moments partagés.
Nous avons ajouté la possibilité de faire des présentations. Cela peut prendre 10 minutes, ou les 30 minutes, peu importe. C’est une opportunité aux multiples avantages : se lancer auprès d’un public dans un contexte quand même sécurisant, tester ses propres connaissances, partager plus largement au projet des pratiques. Les sujets sont très variés. D’une présentation très générale sur TDD à un exemple de code concret du projet, ou une nouvelle fonctionnalité de l’Intellij, tout est possible. Ces présentations attirent du monde et sont une réussite.
Tout est noté dans un log, un wiki dans notre cas. Aussi bien les présentations que les ressources qui sont partagées. On met une évaluation (forcément subjective) pour les ressources. Le wiki contient une section avec des liens vers portails, des blogs, des chaines youtube, etc. Tout cela nous le faisons pour aider les personnes qui n’ont pas encore de veille techno en place à nous rejoindre sur les sessions de veille sans le stress de ne pas trouver de ressource. C’est aussi pratique pour faire un peu de promo de temps en temps. Chaque mois on publie une sélection des articles les mieux évalués sur notre messagerie interne. C’est une façon de rappeler l’existence de ce rendez-vous, d’en informer aussi les nouveaux arrivants. La communication est très importante au lancement, mais pas uniquement. Yoan Thirion affirme que communication is key dans la mise en place d’une communauté de pratique. Je n’avais pas perçu cela au départ, et ne faites pas l’erreur de la négliger, cela pourrait condamner tous vos efforts. On partage aussi ce résumé au niveau de l’entreprise et j’ai même commencé à partager ça sur linkedin. Ca peut donner envie aux personnes de lire les ressources partagées, et peut-être aussi de lancer un tel rendez vous sur leur projet.
Conclusion
Cette organisation, ces réflexions, ces essais sont un investissement en énergie, avec parfois des moments de démotivation. Mais comme le dit B.Gantaume dans ce podcast de WeLoveDevs, tout le monde n’est pas passionné par le métier de dev, donc il est inévitable d’avoir à travailler cela. Comme lui, je pense qu’avec le temps ce goût peut arriver, et ce temps de partage est une graine parmi d’autres qui amenera peut-être d’autres devs à la passion. Et au partage.
Et pour terminer, si j’ai un dernier conseil à vous donner, c’est de vous appuyer sur les personnes qui, comme vous, sont motivées (si vous avez la chance d’en avoir autour de vous). Mettez en place cela ensemble.
Chaque jour, mille fois, je ressens ma vie, corps et âme, intégralement tributaire du travail des vivants et des morts. Je voudrais donner autant que je reçois et je ne cesse de recevoir. — Albert Einstein