J’ai enfin appris à prendre des notes

45 ans. Voilà le temps qu’il m’aura fallu pour savoir prendre des notes.

Tout a commencé par un tweet d’un collègue qui m’a fait découvrir une conférence de Sönke Arhens. Grosse prise de conscience et vague d’espoir. En effet je suis plutôt un gros consommateur de contenus comme des livres, vidéos ou podcasts dont le but est est transmettre un savoir. Mais avant, soit je ne prenais pas de note, soit j’en prenais un peu sur différents supports. J’ai même essayé différentes techniques comme les mind maps, ou le sketchnoting. Récemment j’avais un peu amélioré mon système avec Notion, un outil en ligne très pratique (prise de notes, priorisation de tâches, et plus encore). Mais ce n’est qu’un outil, il me manquait la méthode. J’avais tendance à accumuler des notes, sans vraiment les relire, les réutiliser. Et des notes que l’on ne réutilise pas, est-ce vraiment utile ?

Les limites d’une prise de note classique

Quand on prend des notes sans réelle méthode, on crée une archive. Ce n’est pas vivant. Très souvent mes notes étaient issues d’un premier jet, jamais retravaillées. Il m’était difficile de les relire car il leur manquait un contexte. Je les stockais telles quelles dans un dossier, et la probabilité que j’y revienne était assez faible. Et il y avait encore moins de chance que je puisse faire des connexions entre plusieurs de mes notes. Je n’avais pas réussi à extraire l’information importante sous forme lisible pour une relecture future.

Quel est l’intérêt de notes que l’on peut difficilement réutiliser, exploiter, et qui ne prennent pas de la valeur en s’accumulant ?

Qu’est-ce qu’une bonne prise de notes ?

Bonne prise de notes

Simon Stalenhag - https://www.simonstalenhag.se/tftl.html

La conférence de Sönke Arhens m’a ouvert l’esprit sur cet état de fait. Mes notes me servaient peu. Un cimetière de notes. C’était à la fois déprimant de réaliser cela, tant d’années de “perdues”. Mais c’était aussi l’espoir de trouver une solution qui ravirait mon “moi du futur”, certainement très heureux de trouver des notes utiles et exploitables.

J’ai donc commencé à utiliser la méthode qu’il propose (Zettelkasten en allemand, slip box en anglais) en lisant des articles à droite et à gauche. Puis j’ai creusé plus tard avec le livre “How to take smart notes” qui est venu alimenter le tableau. Deux mois plus tard, je peux vous dire que j’en suis très content. Vraiment. Extrêmement content.

Pourquoi prenons-nous des notes ?

On ne note pas pour se rappeler. Pour cela on va utiliser d’autres techniques, comme la répétition espacée, le recall (j’en parle ). Certes, la prise de note en soi va déjà nous permettre de mémoriser, mais ce n’est pas le but. Le but est d’externaliser notre pensée, de décharger la mémoire afin d’avoir le focus sur la pensée.

Notes aren’t a record of my thinking process. They are my thinking process. – Richard Feynman

Les notes ne sont pas une trace écrite de mon processus de réflexion. Elles sont mon processus de réflexion.

Mais comment ça marche ?

Le secret ? Quelques étapes, faciles à appliquer, et un outil. Voici ce que j’en retiens après mes lectures et deux mois d’appropriation par la pratique.

On commence par la CAPTURE. En lisant, regardant, écoutant, on prend des notes sur le support de son choix. Il faudrait dans l’idéal toujours avoir un carnet à portée de main, mais n’importe quel bout de papier peut faire l’affaire. On notera dessus ce qui nous intéresse mais aussi nos idées, nos réflexions. Ces notes sont éphémères, on les jettera. Cependant cela ne veut pas dire que l’on va bâcler ce que l’on écrit. Non, on soigne tout de même le contenu un minimum. Ici, on est clair et concis. Et on tâche de ne pas copier tel quel, on fait l’effort de paraphraser. C’est très important car cela nous permet une première appropriation du propos, de valider une première fois notre compréhension. Certains pourront ici se servir des mind maps ou du sketchnoting. Pourquoi pas, c’est déjà faire une première reformulation et mise en contexte. Mais il ne faudra pas trop s’y attacher : ces notes finiront à la poubelle.

Capturer des notes

Ensuite vient la phase d’ÉLABORATION. C’est l’étape la plus importante. Il faut s’y atteler rapidement, le soir même si possible, car plus on tarde, plus on oublie le contexte de nos notes. Ce que l’on fait ? On va réécrire les notes (capturées précédemment) sous forme atomique. Une idée devient une note. C’est un point qui n’est pas toujours évident, et j’ai tendance à parfois y déroger, à remanier mes notes itérativement. Tant que la note est claire et lisible par le “moi du futur” ça me va. La note une fois terminée intègre donc notre ensemble de notes dites permanentes. Elle rejoint le réseau de notes, notre Zettelkasten qui s’est alors agrandi.
Mon Zettelkasten est numérique. Imaginez alors que chaque nouvelle note est une nouvelle entrée dans un wiki, mon wiki. Par exemple j’ai une note “limites des systèmes de prise de notes classiques”, une autre “comment faire un zettelkasten”. Certain préférerons peut-être faire leur système sur papier comme le faisait Niklas Luhman l’inventeur du Zettelkasten, il y aura alors quelques ajustements nécessaires.

Une fois la note satisfaisante et intégrée dans notre système, on va la connecter aux autres notes. Pour cela on créer des liens vers les notes avec lesquelles elle a une connexion. On peut aussi aller dans nos autres notes et pointer vers cette nouvelle note (avec un outil c’est fait en 2 secondes, comme un lien dans un wiki). Ainsi, petit à petit se tisse une toile de notes. Un réseau. Par exemple, je relie la note “pourquoi choisir le système Zettelkasten” à la note “comment faire un Zettelkasten”.

Voici à quoi ressemble mon réseau de notes après deux mois :

Graph Obsidian

Ces connexions reliant des notes assez simples sont très utiles. Elle servent à chaque fois que vous allez saisir une nouvelle note. Je recherche avant (ou parfois pendant) la phase d’élaboration les notes relatives au sujet de la nouvelle note. Et c’est rapide. Je re-parcours ces notes qui rajoutent un contexte. Ma nouvelle note en devient plus pertinente (et parfois ça m’évite de noter une deuxième fois quelque chose que j’avais déjà noté il y a quelques semaines…). Je la connecte aux autres. Puis, plus tard, quand je reviens consulter ces notes, comme par exemple pour écrire un article, alors il suffira de tirer un fil et toutes les idées seront déjà prêtes, sur un plateau. Réellement.

Tout simplement. Le réseau se tisse petit à petit. L’effort est dilué sur chaque saisie de note.

Parfois il pourra être utile de créer une sorte de “super” note, comme un index, un point de départ pour des recherches. Il faudra limiter au maximum ces notes pour ne pas figer la structure et ne pas tomber dans le travers des catégories. Ces dernières limitent le champ d’investigation, rigidifient nos notes. Dans ce système on est dans un processus qui part du bas, des notes. Les catégories ne sont pas prédéfinies, elles émergent au fur et à mesure, et les notes leur sont transverses. Elles peuvent apparaître dans plusieurs réseaux. J’ai par exemple des notes reliées à un ensemble de notes sur le sujet de la “prise de notes” et d’autres notes reliées autour du sujet de “l’apprentissage”, mais j’ai aussi des notes qui sont reliées aux deux sujets.

Dans le livre, Sönke Arhens parle beaucoup de la prise de notes des étudiants ou des chercheurs, car ce sont des cibles évidentes. En effet, bien souvent la méthode enseignée consiste plutôt a concevoir un plan à l’avance, puis de péniblement venir remplir les cases. Avec ce système de prise de notes, on privilégie la libre pensée. Ce n’est qu’à la fin que l’on va faire le plan, fruit des recherches. Comme il le dit “les vrais experts ne font pas de plan, ils s’adaptent”.
Mais tous ces conseils, et plus globalement la méthode, sont valables pour tout ce qui n’est pas de la fiction. Personnellement je m’en sers beaucoup pour ma prise de notes techniques en informatique. J’y agrège tout ce que j’apprends, formulé avec mes mots. Mais j’y mets aussi des notes plus psycho / socio / développement personnel / etc.

La puissance de la simplicité

Prendre des “bonnes” notes ce n’est “que” ça : un peu de méthode et un outil pour faire des connexions. C’est tout. Mais ça change tout.

Au début j’ai un peu tâtonné. Comme toute découverte c’était encore abstrait. Comme j’imagine que ça l’est pour vous encore maintenant si vous ne connaissiez pas le Zettelkasten. Mais pour rien au monde je ne reviendrai en arrière. J’ai maintenant des notes utiles, faciles à utiliser, et ce n’est que le début. Chaque jour elles prennent de la valeur, me permettent de partager plus facilement ma connaissance, augmentent ma motivation. Dans mon quotidien professionnel elles me servent déjà. J’espère que cela durera, mais il me paraissait utile de partager dès à présent mon enthousiasme de novice avec vous.

Si cela vous parle, jetez un oeil à la conférence (en anglais), la forme n’est pas idéale, mais le contenu vaut le détour, tout comme le livre. Et puis ensuite pourquoi ne pas vous lancer ? Votre moi du futur vous remerciera !

Pour aller plus loin

Cette courte introduction vous laissera certainement avec des questions et peut-être l’envie d’en savoir plus. Voici quelques liens qui me semblent pertinents pour creuser le sujet. Je n’ai hélas pas trouvé de ressources vraiment pertinentes en français.

  • Un article plus complet sur la méthode.
  • Un site très complet, mais peut-être un peu intimidant au départ.
  • Une chaine Youtube dédiée au Knowledge Management.
  • Un article pour vous aider à choisir le bon outil. Par ailleurs le site de nesslabs contient beaucoup de courts articles intéressants dont celui-ci. Personnellement j’ai commencé avec Zettlr car l’outil est open source, et bien fait. Cependant après avoir testé en parallèle Obsidian, j’ai fini par adopté ce dernier pour la visualisation des backlinks et sa fluidité. Mon seul regret est que ces outils se basent en général sur Markdown et pas asciidoc. Concernant le stockage tout est sur disque dur, et vous pouvez synchroniser le tout dans un google drive si vous voulez. Sinon j’utilise toujours Notion, mais je le réserve par exemple pour les recettes de cuisine, mes todos, noter des idées d’activités avec mon fils, etc. Mais si vous voulez un outil simple, et que stocker vos données en ligne ne vous rebute pas, ce sera certainement un excellent outil pour débuter un Zettelkasten. Et si vous voulez changer un jour vous pourrez exporter vos données sous forme de fichiers compatibles avec de nombreux outils.

Edit 25/01/2021 : ajout d’un lien vers un article de nesslabs